Il y a 70 ans l'Allemagne nazie signait sa reddition, à une heure tardive permettant une modification de date pour l'URSS en raison du décalage horaire. Les représentants allemands signent la reddition sans conditions à 23h16, au soir du 8 mai, ce qui fait que pour l'URSS la date est celle du 9 mai à minuit et seize minutes.
Ce décalage doit être compris dans le cadre de la magouille précédente des forces américaines, qui avaient accepté que la reddition de l'armée allemande soit signée dès le 7 mai à Reims en France, alors que l'URSS exigeait, avec raison, qu'elle soit signée à Berlin même, ce qui fut le cas lors du 8-9 mai.
Que l'armée allemande signe la capitulation dans sa capitale était pourtant un signe fort. Cela fermait toute une période, cela indiquait un chemin nouveau.
Un chemin nouveau demandant de laisser le passé dans le passé. A ce titre, le 9 mai ne devint pas un jour férié en Union Soviétique. Cela étonnera bien entendu les gens en France influencés par le révisionnisme, mais c'est tout à fait logique dans un cadre communiste où l'idéologie est aux postes de commandement.
En France, le 8 mai n'a d'ailleurs pas toujours été férié non plus. Il l'a été à partir de 1953, Charles De Gaulle le supprimant en 1959, Mitterrand le rétablissant en 1981.
Du côté français, rendre le 8 mai férié rappelle que la France a été aux côté des Alliés, gommant le rôle de l’État collabo du Maréchal Pétain : c'était très pragmatique, voire chauvin.
Du côté soviétique, ne pas rendre férié le 9 mai c'était une attitude progressiste prônant le fait de revenir à la normale, alors que le pays avait connu une mobilisation totale, dans une bataille pour la survie.
La guerre avait été défensive ; elle avait coûté la vie à 26 millions de citoyens et citoyennes soviétiques, principalement des pays slaves : périrent pas moins de 7,2 millions de civils russes, 5,5 millions de civils ukrainiens, 1,6 million de civils biélorusses.
Dans son adresse au peuple à cette occasion du 9 mai 1945, Staline note d'ailleurs le caractère profondément anti-slave d'une initiative allemande de conquête de l'Est européen :
« La lutte séculaire des peuples slaves pour leur existence et leur indépendance a abouti à la victoire sur les envahisseurs allemands et sur la tyrannie allemande. »
C'était là pour Staline placer l'impérialisme allemand dans son cadre historique, qui est celui où depuis plusieurs siècles les peuples allemands cherchaient la domination des peuples slaves.
C'était là aussi pour Staline la manière de dénoncer le rôle anti-démocratique des nationalistes ukrainiens alliés aux nazis, comme d'ailleurs du fascisme hongrois (notamment par rapport à la Slovaquie).
Il est à noter par ailleurs que la brève adresse de Staline ne fait pas de précisions sur la Shoah ; la sous-estimation à l'initial de sa signification a évidemment joué par la suite lorsque l'URSS décidera, la première, de reconnaître la fondation de l’État d’Israël en 1948.
D'ailleurs, de manière plus générale, on peut voir que l'adresse de Staline au peuple ne contient pratiquement rien en termes politiques.
Les prérogatives de l'armée rouge, provoquées par la situation de crise due à la guerre, furent d'ailleurs dépassées par la suite, non sans contradictions par ailleurs. Cela est expliquée de manière relativement approfondie dans le dossier [non encore publiée] sur l'URSS devenu social-impérialiste après 1953, qui justement fera à partir de 1965 du 9 mai un jour férié).
Il ne s'agit pas de faire du militarisme : la guerre impérialiste de 1939-1945 doit avoir comme réponse la solidarité entre les peuples, l'instauration de la paix générale.
Ce sera la ligne générale du Mouvement Communiste Internationale lors des années d'après-guerre, alors que l'impérialisme américain sera lui à l'offensive.
Cette ligne sera transformée en pacifisme bourgeois par les révisionnistes, Nikita Khrouchtchev et Maurice Thorez en tête. Cette ligne n'a pas pour autant quelque chose à voir avec les fantasmes « marxistes-léninistes » petit-bourgeois célébrant les tanks, les avions de chasse et les fusils soviétiques.
La grande guerre patriotique menée par l'URSS avait comme but d'abolir la guerre, non pas de célébrer un acte guerrier comme ayant une valeur en soi - c'est précisément ce que tenteront de dire les révisionnistes en URSS même dès 1945, cherchant à remplacer le Parti Communiste d'Union Soviétique par une direction militaire.
La date du 9 mai doit être donc celle du souvenir, en aucun cas celle d'un militarisme bourgeois totalement déconnecté de la réalité du peuple soviétique dans son vécu, lui qui a si souffert pour mettre en déroute la barbarie nazie.